Jean-Louis Etienne

Textes composés par les étudiants
du cours ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE,
inspirés par 'Le marcheur du pôle' de Jean-Louis Etienne.

Paris

13 janvier, c’est l’hiver – il fait frais mais il ne gèle pas. Troisième journée à Paris, pleine de promesse, d’énergie et d’ignorance.

Il faut que je cherche un appartement meublé. Habitant une chambre d’hôtel à la manière de Simone de Beauvoir me coûte trop cher et, en plus, à mon arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle, les roues de ma valise à roulettes ont crevé sous le poids des bagages et me voici maintenant avec deux nouvelles valises pour éviter une nouvelle crevaison… il faut absolument que je fasse des économies.

Armée d’une adresse dans le 12e, je sors du métro Barbes Rochechouart, tout près de Montmartre, et j’imagine les artistes de jadis avec leurs palettes et leurs tableaux penchés. A chaque instant, je m’attends à voir apparaître Toulouse Lautrec ou Paul Cézanne… Que c’est romantique ! Je suis sur le point de réaliser un rêve qui me tient à cœur depuis longtemps : étudier à Paris afin d’obtenir mon diplôme. ET ME VOILA. Je flotte, je sens mes émotions comme une boule d’air iridescente, fragile et forte en même temps. Pourvu que ce moment dure…

Le concierge est lugubre, silencieux – pas du tout comme celle de ‘L’élégance du hérisson’. Il me montre un studio au premier étage donnant sur une cour intérieure. Un canapé-lit au milieu de la chambre, une toute petite cuisine, la douche dans un placard à côté de la cuisinière. Quelle charmante utilisation de l’espace ! Les toilettes sont dans le couloir juste à côté du studio. Pleine d’espoir, d’énergie et d’innocence, je paie pour une semaine, le cœur battant. Je vais rencontrer pas mal de monde, le tout Paris. Je ne rencontrerai personne du tout…

La douche marche si bien que je dois nettoyer le plancher de la cuisine après ma toilette – pas facile avec ma seule serviette et l’unique torchon ; le canapé-lit une fois transformé en lit remplit la chambre à tel point que je n’ai pas d’autre option que d’aller me coucher. Et zut alors, pendant la nuit blanche que je passe, est-ce que tout l’immeuble a vraiment besoin d’utiliser les toilettes sans cesse ? Nom de nom, pourquoi tu ne t’es pas rendu compte ce que ça veut dire d’être si commodément située à proximité des toilettes, espèce d’idiote…

Il faut absolument que je cherche un autre appartement meublé…

PAR GLENDA BUTLER

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N’y compte pas trop

C’est une petite histoire écrite pour préparer les jardiniers putatifs à faire face à l’imprévisibilité de la nature.

Je me lève très tôt ce matin, le 25 octobre. C’est avant l’aube à Lilyfield. La température reste hors norme pour la saison : il fait vingt-deux degrés à cinq heures, pas un souffle d’air. Ça fait cinq mois qu’il ne pleut pas et la terre est desséchée. Capitaine John Piper aurait été abasourdi.

Je cherche l’arrosoir pour mouiller les géraniums. Nom de nom ! Il est plein de petites grenouilles mortes, qui sans doute cherchaient de l’eau pour assouvir leur soif. Je tends le bras pour la pelle afin de les enterrer et le manche tombe par terre. Est-ce que j’ai cassé mon gros orteil ? Contusionné en tout cas, et difficile de marcher.

Je me ressaisis et entre dans la cuisine en clopinant pour préparer un café. Mais la cafetière déborde et il n’y a plus de lait. Une tisane alors…

Je vais cueillir des petit-pois. Je ne cueillerai aucun petit-pois. Quel désastre se révèle devant mes yeux au jardin ! Les hortensias semblent rabougris ; les rosiers sont couverts de petits pucerons ; et au centre du potager, un opossum grignote les susdit petit-pois, les salades et les concombres. C’est un vrai festin pour lui. Pour moi, pas vraiment… Quelle idiote ! Tu aurais dû clôturer les légumes… Heureusement, les cafards ne sont pas de la partie.

Je cherche le tuyau d’arrosage pour asperger l’opossum. Je lui en veux… Mais tiens ! Le tuyau est coupé en deux par une bête affamée – sans doute, un rat. Je trouve que l’opossum me persifle et qu’il se targue de m’avoir donné des soucis. Je hausse les épaules avec résignation et décide de lui laisser ce qu’il reste des légumes. Zut alors ! Peut-être un seau d’eau peut sauver les hortensias. Je serre les dents contre la douleur de mon orteil et commence à remplir le seau au robinet extérieur : impossible à cette heure de trouver une aide quelconque.

D’un air distrait, j’aperçois un rosier en pleine floraison à côté du robinet. Je le fixe du regard. La crème de la crème à peine éclose, avec une odeur de miel et de cannelle, flotte devant mes yeux brisés de fatigue. Ça vaut la peine de faire du jardinage pour un tel moment !

SOUDAIN, un coup de tonnerre fracture le ciel serein et il pleut des cordes. L’opossum effrayé s’en va en fumée. Les hortensias sont sauvés. Je me tance d’avoir pensé à renoncer parce que ce petit moment d’espoir suffit à me redonner l’envie de retourner au jardin demain matin.

PAR ROSE CHENEY

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St Anton

19 janvier 1975 St Anton, Les Alpes, Autriche. Les nouveaux mariés sont partis en Autriche pour leur lune de miel. Le lendemain, c’est la débâcle !

C’est le deuxième jour de mariage. Je me suis levée avec plus d’anticipation. Aujourd’hui je vais apprendre à faire du ski. Et c’est sûr, après deux ou trois heures de cours, je vais voler comme un oiseau, descendant la montagne avec élégance et style. Je pense à Florine de Leymarie.

Je commence lentement, maladroitement, avec mes skis croisés. Je tombe et, vraiment, je suis la dernière de la classe même sur la piste verte. Le moniteur annonce que tout le monde est prêt, il est l’heure d’attaquer les pistes. Nous marchons vers le télésiège et montons tout en haut !

De la cime de la montagne, la piste semble plus raide. Je crains, je rate mon virage… je tombe. Je commence à descendre vite sur le verglas, comme Florine. NON ! Pas avec élégance, pas avec style. Je descends sur mon dos, mes bras et mes jambes en l’air comme un chien mort. Je m’arrête, finalement, grâce au moniteur. J’en ai assez !! J’enlève mes skis et les mets sur mes épaules et je marche vers le village avec les protestations du moniteur à mes oreilles.

Ce bruit de skis derrière ! C’est qui ?… Florine ? Ah non, c’est un homme. Il me demande ce qui s’est passé et il me dit de remettre mes skis. Je refuse ! Il me donne un dram de whiskey avec un sourire et me propose de porter mes skis jusqu’à ‘’The Crazy Kangaroo », un restaurant sur la montagne… et en prenant mes skis, il saute et pouf, il disparaît.

Bon sang, il est trois heures l’après midi, le soleil tombe. Je ne vois pas les lumières du village !! Avec un moral d’acier, je marche, je descends, je descends sur ‘’La Rue de Florine’’. Quelle idiote ! Tu ne sais pas à quoi tu pensais. Tu vas mourir de froid. Ton mari sera veuf après deux jours de mariage ! Et où est le resto où je peux retrouver mes skis ? La piste devient de plus en plus raide, la neige plus profonde, je me rends compte que je n’ai pas d’autres choix que de m’asseoir sur mon derrière et de glisser le reste du chemin et espérer que le restaurant apparaisse.

Mon Dieu, qui est cette apparition devant moi ? C’est mon mari qui monte la montagne avec mes skis pour me retrouver. Quel bon époux, j’ai de la chance. Je vis !

PAR PH

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Vol BA753 Los Angeles

À l’aéroport international de Los Angeles, premier atterrissage sur le sol des États Unis, il faut passer la douane, récupérer les bagages et les déposer au dépôt des bagages du vol de correspondance, prendre une carte d’embarquement du comptoir d’enregistrement, et passer la sécurité, avant de continuer en transit.

Lundi 11 Septembre, 6h du matin, ou minuit selon notre horloge biologique. Il fait beau et le soleil brille. Mes yeux sont lourds de sommeil. Aujourd’hui, hier, et demain existent en même temps, je viens de passer en arrière dans le temps. Du printemps à l’automne. De l’obscurité à la lumière. Je sens un noeud au fond de mon estomac. Il y a beaucoup d’étapes à franchir. J’ai besoin d’un ange gardien ici, à Los Angeles, surnommé La cité des anges…

Le premier point de contact est avec une machine. Dans le grand hall d’arrivée, des centaines d’entre elles vous attendent, comme les statues de l’île de Pâques, alignées menaçantes et surveillant l’entrée au passager sans visa correct. Une photographie et les empreintes digitales sont prises.

FLASH! ….Nom de nom, tu ressembles à un paresseux !

Une longue file pour passer la douane, une deuxième photographie et empreintes digitales et soudain je suis dans la salle des retrait de bagages. Bon sang ! Des passagers et leurs bagages partout ! J’arrête. Je cherche. Je vais chercher un chariot. Je chercherai partout. J’ai trop de valises pour naviguer sans chariot ! Enfin les chariots…Zut! Il faut payer en pièces américaines ! Alors, je pousse les valises ! J’essaye de suivre les panneaux déroutants. La panique monte peu à peu… quelle heure est-il? Je marche et je marche. Je tombe enfin sur le dépôt des bagages et surgis soudain dans le hall de départ. Il n’y a presque personne ! La lumière de l’aube encourageante entre par les fenêtres et les portes vitrées et avec le silence apaisant, ils ont une présence tangible. Plus réassurée maintenant, avec la carte d’embarquement à la main, j’avance vers la sécurité, et puis dans l’antre de calme, pour enfin dormir.

PAR CHRISTINE AUSTIN

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Une vocation tronquée

A Canberra dans les années cinquante, en hiver, le vendredi soir, tout le jeune monde partait dans les montagnes. Pour avoir et retenir ses amis, pour rester capable de contribuer à la conversation au bureau, il était absolument nécessaire de faire du ski. Il fallait que même le moins doué en sport monte dans le bus d’un club de ski et essaie d’émuler les héros des Alpes. La plupart a survécu.

Vendredi, 10 août 1957, 18h. Canberra. La nuit est descendue comme une couverture de velours noir. La pluie commence avant que le bus ne quitte la ville et elle ne s’arrête pas. Deux heures plus tard, près de Cooma, la neige commence à tomber et, comme nous montons les montagnes, elle devient de plus en plus épaisse et le brouillard descend. Après presque plus de trois heures, le bus s’arrête. Que faire ? Où sommes-nous ? A Munyang, je sais qu’il y a une centrale électrique. Un sac de couchage sur le plancher me suffira. Ce n’est pas possible. Le chalet se situe à huit kilomètres et, nom de nom, nous allons faire le trajet en skis. Les péchés de ma vie passée se déroulent devant mes yeux. Qu’ai-je fait pour l’avoir mérité ? On y va.

En dépit du manque de visibilité, on ne voit pas plus loin que le bout de son nez, le reste du groupe est plein de bonhomie. ALLEZ ! Je ne peux pas partir avant de rajuster la fixation de mes chaussures et la position de mon sac à dos. Mais je peux voir les lumières du groupe devant moi. La neige et le vent commencent à améliorer. Bon courage, femme bête, tu ne vas pas périr toute seule… Ciel ! Minuit sur ma montre. J’ai retrouvé la Grande Route des Montagnes neigeuses. Les skis glissent doucement. La nuit devient presque amicale et… je tombe dans une congère.

Confuse, désorientée, je lutte pour me lever. J’ai perdu un ski. La nuit m’engloutit. La neige revient. Pas de lumière, pas de secours. Une forme ronde et grosse surgit à mes cotés. Pourrait-il être le fantôme d’un husky mangé par Scott de l’Antarctique dans un trajet tragique comparable ? Puis une autre forme surgit de l’obscurité. Grâce à Dieu, c’est un ami du groupe. Je commence à bredouiller comme une folle, à propos du ski perdu et du chien ressuscité. Il écourte mes paroles. Il a tout compris. Il a trouvé le ski perdu. Le fantôme était un wombat, comme moi, vivant et lent. Je lui donne l’autre ski et je marche – non sans difficultés – vers le chalet. Samedi, 11 août, 2h du matin. Nous arrivons au chalet de Club YMCA. C’est mon premier et dernier voyage hors de Canberra pour faire du ski.

PAR CARMEL MAGUIRE

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Le Marcheur du Bhutan 2006

Margarita est partie de Sydney par avion le 22 novembre 2006 pour parcourir le pays mystique de Bhoutan. Le point culminant de ce voyage est le pèlerinage au monastère de Taktsang (connu comme le Nid du tigre) perché sur le bord d’une falaise, à 3120 m au-dessus du niveau de la mer.

Mardi 5 décembre, c’est l’automne. ENFIN ! C’est le jour de la montée raide vers le site sacré de l’Himalaya, le monastère de Taktsan. Il fait frais à 15 degrés, de bon augure pour la montée … seulement à cinq heures de marche ! Tôt le matin, je me joins au groupe de randonneurs et je marche avec eux. Mais seulement après une demi-heure, je dois m’arrêter pour reprendre le souffle. J’ai pris trop de temps pour me reposer… Ils sont allés de l’avant, vais-je les rattraper ? Vas-y ! Je me donne un fouet mental et j’accélère le pas.

Cette piste, étroite et rocheuse, remonte et remonte imperceptiblement. Maintenant je ne vois que le dos de mon groupe, disparaissant progressivement. Mon souffle devient court, mon cœur bat et j’ai chaud. Je ralentis… et zut ! Je les perds encore. Nom de nom ! Tant pis. Mon Dieu, comme c’est beau ici ! La forêt de pins, la rivière gargouillant quelque part en-dessous. Ma tête est étourdie par le bourdonnement des insectes. Des dzongs sont sur mon écran mental, des temples avec leurs dômes et leurs idoles dorés, des moines dans leurs robes de safran donnant des bénédictions… Je surnomme cet endroit « Mon petit temple ». Mais je dois revenir à la réalité. Je rêve d’être dans les grottes de Taktsang, perchées sur le bord d’une falaise, où le gourou bouddhiste Rinpoché a volé sur le dos d’un tigre il y a 1300 ans. A l’assaut, toi poule mouillée ! Je me souviens les paroles de Sir Edmund Hillary « Ce n’est pas la montagne que nous conquérons, mais nous-mêmes ». S’il a conquis le mont Everest, moi aussi je peux faire la même chose !

Avec un moral d’acier ! Je le ferai même si je dois devenir un vrai pèlerin, pieds nus et en haillons, trébuchant finalement vers les étapes raides de ce monastère… Quoi ? Un homme s’approche de moi, avec un cheval. Il me fait signe le monter. Le vieux cheval est expérimenté et choisit soigneusement son chemin autour des rochers. Je suis dans le giron des dieux. Un miracle.

PAR MARGARITA

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Varenne

Ses conseils était pleins de bonnes intentions – quand vous arriverez à Varenne, suivez les signes en direction du château. La montée est assez escarpée mais cela vaut la peine…

Mardi 26 août, c’est la fin de l’été. Nous sommes arrivés à Milan après un vol de vingt-et-une heures. Il fait très chaud, la température monte à quarante degrés pendant l’après-midi.

Mardi 28 août. Nous faisons la grasse matinée (malgré nos intentions de nous lever tôt) et nous partons dans la matinée pour le lac de Côme et Varenne, une ville plutôt paisible au bord du lac. La chaleur est étouffante, le train qui n’est pas climatisé serpente à travers le paysage assoiffé. Nous descendons et j’achète une bouteille d’eau au kiosque de la gare. Ah non, la carte touristique sur le mur est presque illisible, les sites principaux sont effacés au fil du temps par des milliers de doigts qui cherchent leurs destinations.

Nous partons à pied vers le lac et nous tombons sur un panneau caché par la végétation envahissante. Je déchiffre une flèche noire qui nous indique le château. SUPER ! ALLONS-Y ! Il est presque midi, nous commençons la montée par un chemin bien usé. Les premières marches en béton sont courtes et faciles, plates et régulières. Nous passons derrière des jardins clôturés, personne n’apparaît, des chiens aboient. Je remarque après quelques minutes que les marches, maintenant faites de cailloux et de terre, sont plus hautes et irrégulières. Le soleil est directement au-dessus, il est impossible d’y échapper. Pourquoi tu as décidé de gravir cette pente escarpée en plein soleil en août ?

Nous continuons à gravir pendant quelque temps et nous arrivons à une clairière munie d’un banc. Dieu merci ! Un repos bref. Je respire à fond. Nous continuons, et, progressivement je deviens consciente de la douleur dans les mollets et je me demande si je peux persévérer. Nous arrivons à un panneau : Vous êtes à mi-chemin du château. Nom de nom, ce n’est pas possible, la figure rouge rayonne et la sueur coule du front aux lèvres… Je vais surmonter la fatigue et la soif. Je ne surmonterai rien du tout. Je ferai demi-tour… Je me force à continuer bien que je sois épuisée. Marche après marche, je me projette vers mon but. Deux heures plus tard, ma bouteille vidée, nous atteignons le point culminant de notre Everest : les ruines du château et la vue imprenable sur le lac scintillant. Cela vaut la peine !

PAR KAREN BRYANT

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Un rude parcours vers la retraite

John vient de finir une autre année débordée comme professeur de maths, une année pleine de soucis, pleine d’étudiants satisfaits. Mais, cette fin d’année est différente. Il sort de l’université pour la dernière fois. Il est à la retraite. Une nouvelle vie s’annonce pour lui.

Jeudi 29 décembre 2016, c’est la fin de l’année… presque ! Il est six heures du matin ici à Sydney et il fait trente degrés… déjà ! La canicule s’est installée. Dieu merci j’ai passé une bonne nuit. La climatisation dans ma chambre fonctionne, parfaitement. Quel bonheur. C’est le début des vacances et je suis prêt à partir…décontracté, pas de stresse, pas de boulot, plus de patron ! J’ai hâte de quitter cet enfer de Sydney pour la douceur des Montagnes Bleues. Oui, j’arrive mes cathédrales azures dans les nuages ! La bagnole est chargée, je démarre le moteur, je relâche le frein à main et, c’est parti. J’ai réussi, je suis en vacances ! ENFIN ! Je roule le long de l’autoroute M4, vers l’ouest. Je la surnomme « l’Avenue des Montagnes Bleues ». Comme faisaient les aborigènes chaque été, je laisse les vallées pour atteindre l’air frais des plateaux élevés.

Il y a très peu de circulation et j’avance à cent-dix kilomètres à l’heure… c’est normal. Alors que je voyage, la température dehors continue à monter impitoyablement, il fait à présent quarante-cinq degrés. Zut ! Ce n’est pas normal du tout cette chaleur d’enfer, mais ma bagnole fonctionne parfaitement. Déjà, je peux voir, tout droit, les premières pentes des Montagnes Bleues. Quel soulagement ! Tout d’un coup, je ne vois plus la route, je suis ailleurs, nulle part, dans l’obscurité. Une vague forte secoue tout mon corps et je frémis de la tête aux pieds… je rouvre les yeux… je reprends mes repères… nom de nom, que vient-il de se passer ? Je dois m’arrêter immédiatement… non ça va, il ne s’agit que d’un coup de chaleur, ces choses arrivent de temps en temps… Mais c’était beaucoup plus que ça, définitivement. C’était comme un coup de tonnerre dans le corps… Mais où vais-je m’arrêter ? OK, sois prudent, tu vas rouler plus lentement et tout ira mieux. Pas du tout ! Après ce sommet du premier acte de cette pièce qui se déroule devant moi, une étape sereine mais trompeuse s’installe comme toujours dans le deuxième acte, mais le dénouement vertigineux m’attend dans le troisième. A une vitesse presque normale, je monte les pentes l’une après l’autre, je balaie du regard les nuages, le ciel bleu, les arbres, je me détends. J’ai faim… ça… c’est bien normal ! Je pense à mes amis Bettina et Chris qui m’attendent au sommet de l’avenue des Montagnes Bleues. Ils préparent un bon repas délicieux pour moi. A mesure qu’on monte, la température baisse, je suis détendu, je me mets à chanter « Sous le ciel bleu, mes rêves s’envolent… ». Le vent frais caresse mon visage. Je suis amoureux de ces montagnes que je connais si bien. Je prends des virages en S, la route se rétrécit et pour la première fois, elle descend rapidement. Je connais bien cette petite aventure sur ce chemin, je l’ai faite souvent.

A l’improviste, un autre coup de tonnerre me frappe… Les murs de grès, de chaque côté de la route, penchent et me menacent… Je ne peux pas détacher mon regard de ces murs qui me bousculent… Finalement je regarde tout droit… dans le vide… je sens la bagnole flotter dans ce vide… je suis en train de perdre le contrôle… je ralentis brusquement… j’empoigne le volant… mais je sue comme un bœuf… je vais surement heurter les murs qui m’entourent. Je roule à présent à vingt kilomètres à l’heure, quelqu’un me dépasse, en klaxonnant. Je m’arrête. C’est insupportable cette sensation du vertige ! J’ai complètement perdu le nord. Je sors du véhicule. Je ne peux plus penser clairement. Je suis à bout de souffle. Je suis dans l’enfer ! Qu’est-ce que je vais faire ?

PAR JOHN

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Vu du paradis

En 1990, une théologienne australienne, Dr Alice Edwards, assiste au Congrès International de Théologie à l’Université Catholique de Louvain en Belgique. C’est le premier jour du congrès.

Lundi 15 mars, j’arrive de bonne heure dans la vaste salle de conférences à gradins. Elle est presque vide et je m’installe dans la première rangée. Je ne veux rien rater, tant de mes héroïnes seront ici, et un ou deux de mes héros… Ursula King, Beverley Harrison, même Hans Kung (surnommé King Kung par ses étudiants). Je souris… je suis aux anges. Peu à peu, le bourdonnement derrière moi augmente, agréable, accueillant… et perceptiblement français… cette mélodie de notes saccadées, précises, reliées par l’omniprésent « euh », si doux, si hésitant, si rassurant. « Excusez-moi, Madame ». La voix est autoritaire. « Ces places sont réservées pour les participants… ». Elle regarde mon étiquette bleue : Ms Alice Edwards, Australie. « Vous n’êtes qu’une observatrice », dit le petit dictateur en faisant un signe vague vers le fond de l’amphithéâtre. Souriant et jurant à voix basse en même temps, je me dirige vers le paradis… je monte, je monte. « J’aurais dû apporter mes jumelles », je grommèle à l’étiquette bleue à côté de moi dans la dernière rangée. C’est embêtant mais bon, je suis rapidement absorbée par les exposés. Les idées sont radicales et stimulantes… mais toujours basées sur des présuppositions sexistes. C’est comme si les femmes n’existaient pas. Tu devrais mettre en question cette présomption, vraiment tu devrais le faire… Les objections bourdonnent dans ma tête. J’ai hâte de les exprimer bientôt, à la séance dévouée aux questions. Oui, je vais débattre de ces présuppositions absurdes, ces balivernes habituelles. Je ne débattrai de rien du tout. Le petit dictateur a pris le micro : « Seuls les participants sont autorisés à poser des questions, c’est-à-dire les personnes qui portent une étiquette jaune. Personne d’autre ». Quelle ânerie ! Nous, les bleus, nous sommes muselés. Je suis furieuse. Les jaunes montent à la plate-forme et posent leurs questions ridicules. Je n’entends rien. La séance se termine. Maintenant le dictateur reprend le micro… il semble que les jaunes vont dîner au resto haut de gamme situé dans le square… nous, la populace, nous mangerons un morceau à la cantine des étudiants. Et cet après-midi nous allons discuter en groupes, ou, plus exactement, les jaunes vont discuter en groupes. Nous, nous allons raser les murs. C’est la goutte d’eau qui… J’en ai ras-le-bol ! Je vais trouver un moyen de parler. J’enlève mon étiquette bleue détestée. Je passe l’après-midi à écrire ma réponse… « Comment pourrez-vous reformer une église hiérarchique si vous n’êtes pas capables d’organiser un congrès moins hiérarchique que celui-ci ? Comment ? Où est l’humain ici à Louvain ? » Demain, je dirai ENFIN ce que je pense, coûte que coûte. Je m’endors en murmurant « à demain, Alice, à demain… »

PAR ERIN GABRIELLE WHITE

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Se perdre à Paris

L’auteur avait organisé un dîner au restaurant, rue Balzac. Les invités comprennent un ami australien, qui vit à Paris et un couple canadien. Elle est une admiratrice du chanteur Johnny Hallyday et veut visiter son restaurant.

Vendredi, 10 septembre. La soirée est chaude avec une brise légère. Les châtaigniers sont toujours en fleurs et je suis ici à Paris mais où exactement ? Le quartier est familier, malgré le fait que tous les immeubles semblent se ressembler.

La réservation de table au restaurant est 19h30 et j’ai beaucoup de temps pour y arriver. Mais je ne peux pas voir de point de repère familier. Nom de nom je ne trouve pas de panneau routier !

Je pense que je connais les arrêts de métro sur la ligne 2 ; normalement j’utilise la correspondance entre les stations Charles de Gaulle- Étoile et George Cinq. Cependant ce soir pour une raison inconnue, je suis sortie du train à la première station.

Zut pourquoi ai-je changé ma route ? Je me souviens que les rues autour de l’Arc de Triomphe sont comme des rayons sur une roue. Donc si je continue en direction à sens unique je pourrai retrouver mon chemin aux Champs Élysées et puis Rue Balzac. Je commence à ressentir un sentiment de panique. Mon Dieu, je vais être en retard ! Peut-être maintenant je reviens vers l’Arc de Triomphe. Au début je n’entends pas le klaxon, un cycliste veut attirer mon attention. « Mamie, mamie passez, passez s’il vous plaît ! ». Je ne me rends pas compte que je suis sur la piste cyclable ! J’aurais pu demander le chemin au cycliste mais il est trop rapide. Calme-toi, Calme- toi !

Pourquoi il n’y a personne avec moi ? Non, non, pas de larmes !

Soudain deux camionnettes transportant des policiers passent devant moi assez lentement. J’entends une forte sirène et des cris et des chants. Ensuite une camionnette part rapidement, l’autre se déplace lentement dans la rue. Je dois penser rapidement aussi. Qu’est-ce qui se passe ? Si c’est une émeute ou une manifestation, peut-être les policiers seront sur le chemin de l’Avenue des Champs-Elysées. Je vais suivre la deuxième camionnette, me tenir cachée bien sûr, et avec optimisme, je vais trouver la ruelle entre la route à grande circulation et la rue Balzac. C’est une manifestation chinoise, je vois beaucoup de drapeaux, les panneaux et les banderoles. Tous les manifestants sont des jeunes hommes, je ne comprends pas les plaintes, car je ne parle pas chinois. Les soldats sont derrière avec les boucliers en ligne. C’est bruyant et j’ai la frousse ! ENFIN, je vois un bâtiment familier, le consulat chinois, je suis sur la rue Washington et je peux arriver à la rue Balzac en dix minutes ! J’aurai vingt minutes de retard, c’est très humiliant pour moi !!

PAR ANN B

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Le grand couloir

Annie avait un plaisir fou à skier. Elle était arrivée à Courchevel avec un groupe d’amis.Lorsqu’elle avait commencé à skier plus tôt dans la journée, Annie s’était sentie si détendue qu’elle avait décidé de tenter la piste noire dans Le Grand Couloir de Courchevel… en solitaire.

La piste noire par excellence, très peu fréquentée. Si l’on s’y engage, il n’est pas très facile de s’en échapper. Le Grand couloir est considéré comme la piste noire la plus difficile des trois Vallées. Longue de 900 mètres, il faut défier les bosses qui y fourmillent et affronter la pente finale impressionnante de 85%.

Et là, il fait -28 degrés !! Aïe, c’est la première fois que j’ai une telle douche froide ! Avec un vent soufflant à 35km/h ! je ne prends pas ça à la légère car le vent à trente-cinq kilomètres à l’heure c’est froid ! Très froid ! J’ai chaud. Mon cœur bat la chamade. Je sens les contractions de la gorge, les flocons de neige fondent sur mon visage. Je fais face à l’arête de départ, située à 2700 m d’altitude, une arête très étroite… il faut suivre une crête sur une centaine de mètres. Je frissonne, ma mâchoire tendue m’indiquant une détermination farouche. D’ACCORD ! Insuffler un peu de magie à un quotidien parfois difficile, le défi de cette terrible piste noire […] Je suis saisie d’une peur affreuse… l’incertitude m’envahit. Tu as été prudente et raisonnable toute ta vie, n’est-il-pas grand temps que tu prennes des risques ?

J’hésite à me lancer sur cette impressionnante piste noire qui sinue à pic de la montagne en faisant miroiter ses dangereuses plaques de glace sous le soleil. Je me reste figée sur place, les deux bâtons plantés dans le sol. Terrifiée. Les pentes glacées dangereuses, sourdes sentinelles, déclenchent une nouvelle énergie étrange. Je m’élance, poussant farouchement sur les bâtons. « Le Tapis Blanc » me guide. Mon tapis volant. Je surmonte la tentation de freiner, transformant le souffle menaçant du vent en un orchestre dont les membres m’invitent à participer. Je descends dans un nuage de son, vers une petite zone tranquille qui me permet de rejoindre une rupture de pente assez impressionnante. J’établis un rythme, je régularise mon souffle qui me transporte. Je me sens voler, descendant la dernière pente qui s’élargit, 340 mètres de dénivelé, plongeon vertigineux. D’ou vient cette nouvelle force ? Moi je glisse avec une lance enflammée dans le dos, ce qui me permet de maîtriser un peu la piste devant moi. Mes genoux, pistons à ressorts, me guident vers la fin triomphante.

PAR AMANDA

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