Mathias Enard

Textes composés par les étudiants ATELIER DE LECTURE ET ECRITURE CREATIVE
inspirés par Mathias Enard.

Nous y revoilà, grimpant les escaliers plein les mains pour atteindre le vieux grenier au ciel où on devait déverser quelques cartons pleins de paperasses : combien d’arbres je me suis demandé. Un des deux ascenseurs était en panne : rien de nouveau là, ça faisait dix ans à peu près, si je me rappelais bien. Plus facile de prendre les escaliers : adieu la mousse au chocolat d’hier soir. Tout était dans un état vétuste dans ce lieu de cet ancien hôpital. Pour une fois j’étais très fâchée, ce qui était si inhabituel pour moi. Mon collègue, lui, d’un sourire narquois, disait que c’était une occasion à ne pas manquer pour échapper au vacarme, des idiots (ses mots), les miens plus robustes, et notre chef harcelant (j’entendais les majuscules dans sa voix) qui nous a chargés de cette tâche ennuyeuse. Après avoir traversé le long couloir au septième étage où se trouvait quelques bustes (de bronze peut-être) des sommités d’une autre ère : c’était triste, relégués aux oubliettes de l’histoire. On a réussi à ouvrir la vieille porte avec sa clef sortie de l’arche de Noé. Le vieux grenier était resté tel quel depuis notre dernière visite : poussière partout, preuve de l’activité des cafards que crépitaient sous nos pas. Et très étouffant. On a essayé d’ouvrir une fenêtre mais sans succès – on ne voulait pas être responsable de l’endommagement d’une fenêtre du « patrimoine ». Quelques allers et retours plus tard, on a empilé des boîtes contre un mur couleur tabac. Fumer est interdit de nos jours, c’est un hôpital après tout. Par cette fenêtre crasseuse on pouvait voir du septième étage, les jacarandas magnifiques en pleine floraison aux alentours de l’université.

PAR DC

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C’était un dimanche en été, je me suis levée de bon matin après une nuit blanche alors que le soleil brillait par les stores vétustes – j’avais l’intention de les remplacer depuis longtemps en même temps que d’autres objets entièrement usés, surtout les meubles laids hérités de mes parents – et que des oiseaux gazouillaient d’une voix forte dans les arbres broussailleux tout près de la fenêtre de ma chambre sans faste où je voulais oublier les inquiétudes familiales qui m’avaient hantée jusqu’au petit jour, en espérant les chasser, et voir disparaître cette tristesse qui m’avait envahie pendant la nuit, sans cesse.

Je me suis levée en décidant d’aller à la plage, j’avais besoin d’inspirer de l’air frais et de me rafraîchir. En route vers la mer qui m’avait toujours attirée, j’avais l’impression d’être seule au monde : il n’y avait presque personne dans les rues (que des gens qui, comme moi, n’avaient pas dormi de la nuit et trébuchaient sur les trottoirs couverts de déchets laissés par les fêtards de la veille), les cafés des quartiers sur le chemin commençaient à s’animer, des parasols colorés apparaissaient, des portes s’ouvraient, des patrons impatientsse préparaient à servir leurs premiers clients matinaux, et l’attente de me baigner dans l’eau fraîche et salée me remplissait d’un apaisement qui me mena à un état d’esprit inusité.

Je me suis assise un moment près d’un couple allongé sur des serviettes rayées qui parlaient d’une voix forte : ils se chamaillaient à propos des opinions des sommités au déjeuner la veille (et me rappelaient les conflits avec mon époux concernant ce qui se passait au Moyen-Orient). Tout à coup, j’étais saisie par un puissant désir de prendre mes jambes à mon cou et de courir vers l’eau claire dans laquelle j’ai plongé à plusieurs reprises sous les vagues bleu vert, jusqu’à l’épuisement, de la même façon qu’un chien anxieux chasse sa queue au point d’en être éreinté.

PAR KAREN BRYANT

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Kylie se tenait debout dans la salle de conférence, en face de toute la fac, même en face du formidable Prof. de Sciences Marines qui a posé comme toujours quelques redoutables questions sur les méthodes scientifiques et la rigueur intellectuelle. C’était le dernier séminaire, la soutenance de sa thèse avant la publication. Le grand écran derrière elle était allumé avec le titre : “ Détermination sexuelle, dépendant de la température, chez les lézards vivipares.” Elle avait survécu.

Cette petite femme minuscule était arrivée chez nous quatre ans plus tôt comme assistante aux laboratoires d’enseignement en zoologie. En ce temps-là, elle avait la passion pour les chevaux et l’équitation, ( toute sa famille était impliquée dans les courses de chevaux ), et elle passait chaque weekend à pratiquer le dressage. Elle a admis qu’elle avait envie de devenir jockey, mais son père avait dit, (et elle a imité la voix bourrue de son père), « Une femme n’a rien à faire ici. » C’était interdit.

Elle avait travaillé comme bénévole au jardin zoologique avec les primates, donc elle avait décidé de faire un diplôme d’études supérieures avec l’intention de faire une recherche sur les grands singes, mais ce n’était pas censé se passer comme ça. Je l’avais aidée avec la demande. Kylie était arrivée d’une autre université moins bien considérée et les difficultés se présentaient. Après que les étudiants étaient diplômés, les grand professeurs de la fac se chamaillaient pour avoir les plus talentueux chez eux. Finalement elle est tombée sous l’égide de Professeur Thompson – ‘Thommo’ – qui lui a été alloué et lui a offert un projet avec les petits lézards, les scinques, de nos jardins, des sujets de recherche inusités : pas dans la jungle de Bornéo ou les plaines africaines. Ce Prof. haut et dégingandé, décontracté, avec son sourire de garçon, était mon préféré et avec la petite Kylie – eh bien – ils sont devenus de bons amis et collègues. La recherche s’est avérée novatrice, révolutionnaire. Pour la première fois, il a été démontré que le genre des bébés lézards était déterminé par la température de la mère pendant la gestation. La thèse était acceptée pour publication par ‘Nature’ – un des journaux scientifiques le plus prestigieux du monde. La fac était fière d’elle: ils voulaient tous leur part de gloire.

Aujourd’hui Kylie est une prof. – à Melbourne. Sur sa photo d’identification sur le site universitaire, elle apparaît avec un zèbre, donc peut-être elle a fait des recherches en Afrique après tout. Et cette année, la coupe de Melbourne a été gagnée par une femme jockey.

PAR ANGELA LOW

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Au moment de l’examen de la classe, Maria était troublée par l’arrivée d’un sommité pédagogique du ministère de l’Education nationale qui utilisait beaucoup de mots inusités par les étudiants. Chez eux et dans les rues, ils entendaient au moins vingt langues d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient, mais peu souvent la langue de Shakespeare et de Milton. Ici, dans une école bâtie au commencement du vingtième siècle, les fils et les filles de cette banlieue de l’Ouest ne rêvaient jamais d’une vie fastueuse où papa acheterait une voiture pour leur dix-huitième anniversaire. Maria espérait que les étudiants adopteraient des attitudes de résistance passive ou, au moins, continueraient à receler les téléphones cellulaires sous les pupitres. Un espoir naïf : une crise horrible et heureuse survint après deux minutes. Un morceau de plâtre tomba du plafond vétuste et frappa la tête de l’inspecteur.

Cette histoire – un récit à suspense si vous voulez – est imaginaire mais ce n’est pas impossible. Ma nièce (professeur de mathématiques) m’a raconté des histoires comparables. La semaine dernière, quand la température atteignait plus de trente degrés, le principal de l’école primaire de Newtown – une école qui n’avait pas de climatisation – a dit : ’N’envoyez pas les enfants à l’école aujourd’hui’…

PAR CARMEL MAGUIRE

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Une rencontre imprévue il y a cinq ans entre Monsieur Hibou et Mademoiselle Minette s’est terminée par une union amoureuse. Ils se sont rencontrés pour la première fois au fin fond du parc à la française à Versailles, parmi l’assistance invitée à un concert. C’était un coup de foudre.

Après peu de temps, ils ont décidé de se marier, mais il leur fallait choisir entre un mariage en blanc avec une réception traditionnelle et fastueuse, ou une cérémonie un peu spéciale, novatrice – même inusitée. Leur rêve était de parvenir sur une île grecque inhabitée, isolée du monde et entourée par la mer d’Agée. Un copain – un marin – a cherché dans le secret, un petit bateau à voiles, et à la fin de deux mois il en a dégoté un – vert pomme, un peu fêlé, mais quand même ils seraient à l’abri d’une mer houleuse.

Les deux amoureux sont partis en bateau à minuit le 25 décembre. Le trajet a duré une année et un jour, mais bien équipé de miel et d’argent, ils ont survécu grâce à leur amour et leur intelligence et parce que Monsieur Hibou chantait une sérénade à Mademoiselle Minette tous les soirs pour apaiser ses esprits. Ils sont bien arrivés au bord de leur utopie et ils ont débarqué sur la plage de sable fin.

Sous un petit bosquet de pins en face d’eux, se présentait une image miraculeuse : un joli cochon rond avec l’anneau de mariage sur son museau – assoupi à cause de la chaleur – prêt à le leur donner en échange du paiement d’un euro. Mais la sommité dans ce petit tableau restait à découvrir : derrière Monsieur Cochon, se tenant debout sur ses griffes, se trouvait Maître Dindon qui se mit à les marier sous un grand cognassier. Comme repas de noces, Monsieur et Madame Hibou, Monsieur Cochon et Maître Dindon ont diné à huit heures : une tarte aux fruits secs et des coings. Et la main dans la main, les mariés ont dansé sur la plage, sous la lumière de la lune.

PAR ROSE CHENEY (remerciements à Edward Lear)

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